LE GORGERIN


A Bouvines, la piétaille saxonne usait d'une pique appelée le gogendart, par référence au mot allemand "goedendag".

 Cette arme était composée d'une hampe de frêne, terminée par une pointe métallique, dotée d'un crochet. Le fantassin pouvait ainsi alpaguer un chevalier au cou, à l'aide du crochet, puis tenter de le tuer d'un coup de pointe une fois à terre, s'il n'était déjà mortellement touché.

 

Pour contrer cette arme redoutable, notre chevalier va donc protéger son cou à l'aide d'un collet de cuir, sur lequel sont cousus plusieurs rangs de mailles : le gorgerin. C'est à un collet de ce type que le roi Philippe Auguste dut la vie, ainsi qu'en témoigne son chapelain, dans la Philippide :

" Quelques-unes étaient dentelées comme des javelots recourbés, et armées vers leur milieu d'un crochet saillant et bien aiguisé. Munis de ces traits, les hommes de pied ne cessaient de poursuivre le Roi (...) lorsqu'un homme plus audacieux que les autres perça les mailles de sa cuirasse entre la poitrine et la tête. La pointe du fer, poussée par un bras vigoureux, s'enfonça à travers un triple collier et la cuirasse à trois lisses, jusqu'au fer qui arrête la blessure, tout près de la peau, et précisément au dessous du menton. Le Roi voulut se dégager de la lance en se retirant, mais elle résista, car le croc s'était engagé dans les mailles, et comme le fantassin tirait de son côté de toutes ses forces, aidé en même temps par la foule qui l'environnait, il jeta le Roi à la terre, la tête en avant. Ainsi étendu sur une place indigne de lui, il y fut en grand danger, tantôt les chevaux le pressant sous leurs pieds, et tantôt les barbares ennemis l'accablant de leurs traits. Bientôt cependant sa force naturelle l'aida à se relever, et il se remit sur pied. Mais la pointe de lance demeurait encore fermement attachée sous sa gorge, embarrassée comme elle était dans les mailles de sa cuirasse et suspendue aux plis de la tunique qui brillait par dessus l'armure. Tandis que les Français la retirent enfin, repoussant en même temps les ennemis et préparant aussi un cheval sur lequel le Roi puisse remonter, voilà qu'Othon arrive en hâte, suivi de ses Teutons remplis de fureur; sans doute dans leurs cruautés ils eussent tué le Roi sur la place même et eurent ainsi, ô crime! attristé le monde de funérailles déplorables, car il leur eut été assez facile de le frapper de mort, tandis qu'il était étendu et que les ennemis l'empêchaient de se relever de terre. Heureusement le chevalier des Barres s'avance en hâte, et les plus illustres enfants de la France avec lui, et ils se mettent aussitôt au devant du Roi avec quelques-uns des leurs."